Le bateau "S'ils te mordent"
Bateau "S’ils te mordent" Côtre breton 1913 / 1943 Centre National Jean Moulin Don Gwenn Aël Bolloré 5,80 m 1800 kgs.
Le côtre breton « S’ils te mordent » construit initialement en 1913 pour la pêche jusqu’à son abandon fut récupéré clandestinement par Ernest Sibiril en 1943 afin d’assurer sa remise en état en dehors du contrôle des autorités allemandes. Capable de transporter 9 passagers, il fut le quatrième des quinze bateaux partis du chantier naval Sibiril qui permirent entre le 12 février 1942 et le 22 février 1944 à 167 volontaires de gagner l’Angleterre et de rejoindre le général de Gaulle. Ernest Sibiril n’évita l’arrestation qu’en partant qu’avec le quatorzième navire le 31 octobre 1943. Le dernier départ clandestin fut organisé par son père, Alain Sibiril alors âgé de 70 ans, le 22 février 1944. Déterminé lui aussi à rallier l’Angleterre par la Manche avec son cousin Marc et sept autres compagnons, Gwenn Aël Bolloré, alors âgé de 17 ans, acquiert le « S’ils te mordent » grâce à la vente de son cheval « Crevette » pour rendre possible la traversée. Après bien des péripéties pour contourner les contrôles allemands, les 9 compagnons embarquent à bord dans la nuit du 6 mars 1943. Ils s’assurent de la complicité de Louis Leven, un pêcheur de l’île Callot, qui procède à la manœuvre de l’embarcation jusqu’à la haute mer. Le « S’ils te mordent » prend le large camouflé tant bien que mal en pleine nuit obscure avec ses passagers silencieux, frigorifiés et allongés à son bord n’ayant chacun que pour seules affaires une petite valise.
Le passage devant les postes de guets allemands implantés tout le long de la côte sèment l’angoisse dans les esprits. Louis Leven qui a réussi le passage vers la haute mer quitte le navire à bord d’une plate afin de regagner le rivage comme convenu. Dès lors, les passagers sont laissés à eux-mêmes soumis à l’inconfort du froid et du mal de mer qui se conjugue à la crainte du naufrage en raison de la mer agitée qui inonde le navire et des patrouilles des gardes côtes allemands qui peuvent surgir de partout avec leurs puissantes vedettes.
Après une nuit exténuante passée à écoper, l’équipage transi, trempé et désorienté arrive aux abords du port de Plymouth dans la matinée du 7 mars en plein milieu d’une intense activité navale marquée par le départ d’un convoi en direction des Etats-Unis et l’arrivée d’un autre en provenance du Canada. Les nouveaux évadés de France sont recueillis à bord d’un premier navire militaire en partance vers l’Amérique avant d’être transférés sur un autre navire en direction de Plymouth. Le « Sils te mordent » n’est pas abandonné mais remorqué à la demande de Gwenn Aël Bolloré qui trouve écho à sa requête parmi les officiers avant d’être mis à la disposition de pêcheurs pendant que ses passagers rejoignent les rangs des Forces Françaises combattantes. Récupéré à la fin de la guerre par Gwenn Aël Bolloré, le « S’ils te mordent » sert à sa navigation de plaisance le long des côtes bretonnes avant d’être présenté aux Invalides puis légué au Centre national Jean Moulin de Bordeaux en 1983 où il rend depuis fièrement hommage à l’incroyable odyssée de ces centaines de jeunes évadés déterminés à rejoindre le général de Gaulle pour continuer la lutte contre l’occupant nazi au péril de leur vie.
L’équipage du « S’ils te mordent » du 6 mars 1943. Gwenn Aël Bolloré, 17 ans s’engage dans les Forces Navales Françaises Libres dans la marine puis dans les commandos franco-anglais. Il participe au débarquement du 6 juin 1944 à Ouistreham. Il devient après la guerre, le vice-président des papeteries Bolloré puis le PDG des éditions de La Table Ronde. Michel Fourquet, 29 ans s’engage dans les Forces Aériennes Françaises Libres. Il est le commandant de l’escadron « Lorraine » et devient après la guerre, chef d’état-major des armées cinq étoiles. Bertrand du Pouget, 30 ans est un aviateur engagé dans les Forces Françaises Libres. Il devient PDG d’industrie après la guerre. Marcel Jassaud, 20 ans est le frère d’Alfred Jassaud, responsable du réseau Alliance qui a été exécuté par les Allemands. Il s’engage dans l’armée de terre et participe à la campagne d’Italie. Il devient cadre commercial après la guerre. Robert Guyader, 23 ans est un marin de la marine marchande. Il s’engage au service du BCRA (deuxième bureau de renseignements) et mène de nombreuses missions en France. Capturé, il est déporté dans un camp de concentration. Marc Thubé, 23 ans, étudiant, s’engage dans l’armée de terre comme motocycliste puis rejoint son cousin Gwenn Aël au commando. Après la guerre, il fait de l’import-export en Afrique. Étienne Coulion, 22 ans est un marin-pêcheur qui s’engage dans les Forces Navales Françaises Libres. Revenu à sa première profession après la guerre, il périt en mer en mars 1951.
Valentin Souffez, 22 ans, cousin d’Etienne Coulion, s’engage dans les Forces Françaises Libres. Comme son cousin, il redevient marin pêcheur après la guerre et disparait en mer en novembre 1954. Martin ?, 25 ans environ ne laisse aucune trace de lui après le passage au camp de triage anglais de la Patriotic School.
Source : Revue de la France Libre, n° 262, 2e trimestre 1988