L'art et l'âme des jardins
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Marina, bibliothécaire au musée d'Aquitaine, a lu L'art et l'âme des jardins : de l'Egypte pharaonique à l'époque contemporaine, une histoire de la nature dessinée par l'homme de Pierre Bonnechere et Odile De Bruyn (Ed. Fonds Mercator, 1998) et vous en parle...
"Les beaux jours arrivent, on se remet dans la folie jardinière alors on s'inspire de "L'art et l'âme des jardins : de l'Egypte pharaonique à l'époque contemporaine, une histoire de la nature dessinée par l'homme" ce livre est mieux qu'un catalogue, on a envie de tout faire : oriental, baroque, grec, romain, médiéval, suspendus... avec mes bacs à fleurs de 40 x 20 cm, je me sens même l'envie de reproduire les jardins de l'Alhambra et de Versailles en même temps sur mon balcon, si si !"
A venir consulter à la bibliothèque du musée avant de vous ruer dans votre jardinerie !
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Article d'André Motte (Université de Liège)
Comme l'indique à suffisance le sous-titre, c'est moins en archéologues ou en architectes des jardins que les A. ont conçu leur exploration de quelque quatre millénaires, mais en historiens d'un art dans lequel se reflètent typiquement des cultures et des mentalités propres à chaque société et à chaque époque. Aussi bien la peinture et la littérature sont-elles, à travers les siècles, constamment convoquées non seulement comme traces, parmi d'autres, des jardins disparus, mais aussi comme témoins d'une interconnexion étroite entre nature et culture que ces espaces ont souvent signifiée et peuvent signifier aujourd'hui encore dans l'expérience humaine. De ce point de vue, les A. ont raison de souligner, dans leur introduction substantielle, une ambiguïté fondamentale qui traverse le jardin. D'un côté, il est un lieu qui échappe à la nature en ce sens qu'elle y est domestiquée par l'homme et qu'elle y subit son emprise démiurgique; mais, de l'autre, le jardin échappe à l'homme en ce qu'il implique toujours le déploiement de forces naturelles et qu'il peut à tout moment faire surgir l'image d'une nature parfaite ou d'un univers paradisiaque qui dépasse l'humain. Aussi bien la gloire des dieux ou de Dieu ne transparaît-elle jamais aussi bien que dans un jardin. Tout au long de leur parcours, les A. seront attentifs à relever les thèmes symboliques universels dont ces lieux ont été faits complices, comme aussi les notes spécifiques par lesquels ils se distinguent. Outre la présence du sacré, c'est aussi celle de l'amour qu'en particulier on y rencontre, - le jardin en est souvent une image parfaite, - celle d'un pouvoir politique qui veut y mesurer ses ambitions, celle de la mort aussi, qui rôde dans les jardins funéraires ou dont triomphent les paradis eschatologiques.
Pierre Bonnechere, notre collègue helléniste bien connu, s'est plus spécialement chargé des civilisations antiques, - l'Égypte, la Mésopotamie et la Perse, la Grèce et Rome, - périodes que trop souvent, note-t-il, on traite un peu à la légère, alors qu'elles ont été à bien des égards fondatrices et que leur influence persiste dans les siècles ultérieurs, dans l'Islam notamment et dans le Moyen Âge occidental. On ne prendra pas moins de plaisir, avec Odile De Bruyn, helléniste elle aussi et spécialiste de l'histoire culturelle de l'Europe après le Moyen Âge, à découvrir ou à redécouvrir tantôt le charme discret, tantôt le faste impérial des jardins de la Renaissance, à faire la visite guidée de ceux de Versailles, dont les imitations ne tardent pas à proliférer, à céder aux attraits de la mode paysagère et du style anglais, non sans prendre connaissance des reproches que Goethe adresse à cette mode du jardin « sentimental », à passer en revue enfin quelquesunes des expériences multiformes de l'âge moderne, avec son engouement pour les parcs urbains, ses tendances éclectiques, la nature abstraite de l'Art déco, les utopies des cités-jardins et encore, dans l'après-guerre, l'ère d'un jardin polaire qu'imagine Roger Caillois et dont il pressent, dans une vision pessimiste, le possible avènement. En appendice, on a droit encore à un chapitre consacré à quelques thèmes particuliers comme les amenées d'eau, les automates, les nymphées et le labyrinthe. Une bibliographie sélective et une table des illustrations clôturent l'ouvrage.
Mais, avant de le refermer, jetons encore un coup d'œil sur la quinzaine de pages réservées au monde grec Cp. 74-89). On commence par y évoquer, à juste titre, le jardin fleuri dans lequel le paysage grec tout entier se transforme au printemps et l'écho émerveillé de ce spectacle qu'entretient à toutes les époques Revue des Livres 327 la poésie. Cette efflorescence naturelle a été pour les Grecs un lieu continuel de ressourcement physique et spirituel. Il n'empêche que, dès l'époque archaïque, ils ont pris soin d'édifier aussi des jardins domestiques qui pouvaient être à la fois de rapport et d'agrément. On en trouve plusieurs images idéalisées dans les poèmes homériques. Plus sûrement connus sont les jardins de l'Athènes classique, avec ses gymnases, comme celui de l'Académie, ses sanctuaires agrémentés de plantations, comme ceux de l'Héphaïsteion et de l'Aphrodite en kèpois, sans compter ces jardinets que confectionnaient les dévotes d'Adonis, comme a,llssi le jardin qu'Épicure institua à l'intérieur des murs pour y dispenser son enseignement, etc. L'époque hellénistique, à la suite des conqêtes d'Alexandre, a vu se développer la vogue des grands domaines aménagés, imitations des «pairidaeza » perses, dont s'enorgueillirent notamment les tyrans de Sicile. Les cités s'offrent alors des parcs, l'évolution de l'architecture domestique favorise le développement de jardins d'intérieur, les campagnes se remplissent de bois sacrés que la main des hommes aménage, les tombes elle-mêmes s'ornent parfois de jardins sauvages. À l'époque romaine, les romans grecs, entre autres, témoignent de la faveur persistante dont bénéficie encore l'art des jardins et du riche symbolisme que celui-ci véhicule. Au terme de son exposé suggestif, qui fait constamment appel aux témoignages littéraires, P. Bonnechere s'interroge sur «la nature du jardin grec», comme il le fait aussi pour les autres civilisations antiques. Parmi les traits caractéristiques, il relève le fait que les Grecs n'ont cessé de recourir à la métaphore du jardin pour pour signifier l'activité intellectuelle. « C'est que, explique-t-il, la nature fleurie des leimones et du jardin, source inépuisable de vie, offre plus qu'une image parfaite de la vérité et de l'inspiration des poètes: elle est la source de tout jaillissement créateur, naturel, religieux, spirituel et intellectuel» (p. 88). Le thème du jardin des Muses, auquel Hésiode a donné ses lettres de noblesse et qu'ont cultivé à sa suite quantité de poètes et de philosophes, est une parfaite illustration de cette conception.
Cette vaste et originale synthèse est assurément fort instructive, en même qu'elle donne à voir et à admirer par la somptuosité des images soigneusement sélectionnées qui la rehaussent. Mais la densité de ses commentaires, enrichis de très nombreuses citations d'époque, fait aussi que, constamment, elle donne à penser.
Référence électronique
André Motte, « P. Bonnechere, O. De Bruyn, L'art et l'âme des jardins », Kernos [En ligne], 14 | 2001, mis en ligne le 14 avril 2011. URL : http://kernos.revues.org/796